
On attend d’un leader qu’il donne l’exemple, qu’il soit irréprochable. Dans son nouvel article Dominique Steiler montre la confusion entre exemplarité et exemplarisme. Plutôt que d’être parfait il prône le développement d’une « intention éthique ».
Les affaires houleuses qui jalonnent la vie politique ou celle de l’entreprise nous ramènent toujours à nos attentes envers les leaders et plus particulièrement, à la demande d’exemplarité qui lui impose de ne pas réclamer des autres ce qu’il ne pourrait s’appliquer à lui-même ; une sorte d’éthique de réciprocité.
L’exemplarité, nous dit le dictionnaire, est « la qualité de ce qui est exemplaire », de ce qui fait exemple, qui donne place à une représentation partagée et moralement valorisée de ce que doit être tel ou tel rôle, condition, personnage… Spontanément, elle retient donc l’idée d’un modèle que l’on veut, que l’on peut ou que l’on a envie de suivre, car il représente une image à laquelle nous souhaitons nous identifier, une étape supérieure de notre accomplissement et un chemin sur lequel nous aspirons à nous engager.
Exemplarité et « examplarisme »
Vérifions pour commencer s’il n’existe pas dans notre fond culturel une confusion quant à la représentation de ce qu’est « être exemplaire ».
Nombreux sont les comportements et les décisions non exemplaires et répréhensibles, qui pourraient être bien moins fréquents si nous nous attachions, dans un premier temps, à mettre en accord nos grands fondements philosophiques et politiques et certaines règles qui gèrent nos vies de manière parfois douteuse. Il est ainsi très intéressant de lire la surprise des commentateurs des pays nordiques quand ils ont découvert que nos parlementaires pouvaient engager des membres de leurs propres familles comme attachés.
Intriguant aussi de détecter, par ce regard extérieur, combien notre conception démocratique semble préserver de manière évidente une forme de privilèges nobiliaires aux personnes qui ont le rôle de leader. Culturellement, le roi incarne, dans bien des civilisations, un représentant de Dieu sur terre ; c’est peut-être bien de là que vient la difficulté.
En effet, il semblerait que l’on confonde bien souvent « exemplarité » avec « examplarisme ». Dans la pensée chrétienne, Dieu est « l’examplar », le miroir de perfection selon Harphius, le modèle à suivre si l’on aspire au salut. Il devient le point de repère à partir duquel se formalise l’écart et se manifeste le diable (celui qui sépare) dans la réalisation d’une décision ou d’une action.
La vérité des choses s’étalonne ainsi par la conformité qu’elles entretiennent avec « l’idée même de Dieu ». Il s’établit alors de manière spontanée, dans notre inconscient collectif, un rapport d’interdépendance entre Dieu et nous. Tout aussi naturellement, nous dit Albert Ampe :
« l’homme transfère ce rapport du monde matériel en d’autres domaines où il se réalise analogiquement… L’univers, et tout ce qui le compose, est conçu comme une image, dont l’exemplaire se trouve au-delà du sensible. »
À partir du regard chrétien, la pureté devient la référence à l’aune de laquelle sera évaluée la valeur des personnes et des choses : pureté de la Vierge, des sentiments, de l’action courageuse ou altruiste.
Un leader ayant perdu « le reflet de la lumière divine » par suite d’un acte non exemplaire, donc non éthique, se retrouve dans la position des empereurs chinois qui, n’ayant su faire face aux difficultés terrestres, perdaient le soutien du ciel, devenaient indignes de la confiance du peuple et se voyaient déchus de leurs attributions et fonctions.
Comment dans ces conditions être simplement humain ? Comment tenter de développer chez nos futurs leaders, non seulement une intention éthique, mais un comportement en adéquation avec cette intention, si le mètre étalon est pure perfection, si l’on ne reconnaît et n’accepte pas notre non-finitude, si l’on n’embrasse pas tout ce que représente « être humain » ?
Personne n’a envie de faire effort pour un but totalement impossible à atteindre. Il n’y a dans ma proposition aucun rejet du fait religieux, mais une demande de discernement. Si le verbe s’est fait chair, c’était bien pour en contempler et en connaître les limites, et donner aux hommes les moyens de vivre au plus proche de leurs idéaux dans une acceptation de leurs fragilités.
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Exemplarité et « examplarisme »
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