
Les managers sont souvent limités à des missions d’organisation et de contrôle. Peuvent-ils être aussi des créateurs ? Raffi Duymedjian montre dans son article The Conversation, toute la valeur ajoutée qu’apporterait un manager créateur.
Les métaphores du chef d’orchestre comme celle de l’entraîneur sportif sont régulièrement associées à la fonction managériale. Du chef d’orchestre, le manager retient la compétence à faire jouer par son équipe la partition décidée par la direction générale, en adoptant une position d’autorité, celle du chef. De l’entraîneur sportif, il tire une capacité à créer du collectif, à repousser les limites individuelles et collectives pour atteindre une performance optimale.
Musiciens et sportifs « coachés » reconnaissent en leur chef d’orchestre/entraîneur une part de création indiscutable : le chef d’orchestre interprète une partition qui n’est qu’un guide à partir duquel il imagine un morceau ; l’entraîneur visualise le jeu qu’il aimerait que son équipe sache déployer.
Or, lors d’une enquête exploratoire dans un contexte de formation professionnelle, il a été demandé à des managers de niveaux d’expériences diverses dans quelles mesures ils avaient le sentiment de créer quelque chose, d’être créateur de quelque chose. Et les réponses à « que créez-vous ? » semblent être unanimement négatives, à savoir « rien ». Ces managers admettent simplement du bout des lèvres qu’ils mettent en place les conditions favorables à ce que d’autres puissent créer.
Rien de surprenant à cela en première analyse. Les fonctions managériales « traditionnelles » identifiées par Henri Fayol en 1911, à savoir prévoir, organiser, commander, contrôler, ne renvoient jamais explicitement à une quelconque part de création.
Celles plus récemment identifiées autour des exigences de motivation, d’influence (du management transversal par rapport au hiérarchique), de pilotage de démarches de changement en univers instable ne font pas non plus référence à cette capacité à créer.
Pire, l’apparition du « leader » distinct du manager octroie au premier la mission de proposer une vision et d’inspirer ses collaborateurs, fruit de son inventivité et de sa créativité, quand le manager est d’autant plus « cantonné » aux activités d’organisation et de contrôle.
Pourquoi interdire au manager de créer ?
L’entreprise peut voir plusieurs bénéfices à une répartition des rôles excluant la capacité à créer des compétences du manager :
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Parce que « créer, c’est résister » (Deleuze), la « création managériale » vient potentiellement perturber la belle ligne hiérarchique dont le manager est le garant, la courroie de transmission. Le manager est supposé être la dernière personne à résister, dans la mesure où il est la condition de l’ordre et du mouvement dans une direction prédéterminée. Comment dès lors accepter que Monsieur Loyal joue les déloyaux, sans remettre en cause l’ensemble des dispositifs de pouvoir ?
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Tout acte de création est unique, singulier. Or, malgré la multiplication des expérimentations à des nouvelles formes d’organisation promouvant le respect des individus, il est une sentence sur laquelle personne n’ose revenir : « nul n’est irremplaçable ». Pourtant, un Boulez comme un Van Gogh, un Rodin comme un Jarre le sont. Refuser la création managériale, c’est récuser le manager comme créateur, réduire sa valeur individuelle et ainsi augmenter sa remplaçabilité.
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Enfin, de même que la notion de progrès n’a aucun sens en art (nul ne peut affirmer que Turner est un progrès sur, disons, Rembrandt), le manager créateur entre difficilement dans des logiques de mesures de la performance alimentant des systèmes de comparaison et de classement. La compétition permanente entre collaborateurs est ainsi mise à mal alors qu’elle est le nerf du système compétitif interne aux entreprises qui reproduit la mécanique concurrentielle du marché.
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