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Applications web : accepter sans savoir

Published on
17 October 2016

Les conditions générales d’utilisation des applications et services web sont illisibles, incompréhensibles et quasiment jamais lues.  Comment sensibiliser les internautes ? Nathalie Devillier préconise « une forme d’advocacy du droit du numérique ».

Une kyrielle d’applications (services, jeux, réseaux sociaux, objets connectés) est téléchargée chaque jour sur des interfaces de navigation, ordinateurs, tablettes et téléphones mobiles. Mais il faut savoir que presser le bouton « Installer » revient à accepter des conditions générales d’utilisation et des politiques de confidentialité que personne ne lit ! Ou alors, nous sommes très peu dans ce cas. En effet, ce document juridique pas très sexy (parfois 20 000 mots) ne capte pas l’attention des utilisateurs alors qu’il contient les clés du service numérique… Et de plus en plus de clauses abusives. Qui prendra leur défense ?

Poupées russes numériques

Il est évident que les contrats d’adhésion que sont les conditions générales d’utilisation (CGU) manquent de transparence (le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties, art. 1110 du Code civil). Elles sont allègrement acceptées par l’utilisateur d’une application, d’un spot wifi ou d’un objet connecté qui ne les lit pas, tellement pressé de bénéficier du service tant qu’il a du réseau et de la batterie. Le client se soucie bien peu de ces paragraphes interminables, illisibles sur un petit écran ou renvoyant à des pages Internet par le biais de liens hypertextes sur lesquels on devrait cliquer puis recliquer, voire parfois tomber sur des textes en anglais. Bref, une véritable Matriochka numérique !

Les CGU sont donc loin d’être claires et compréhensibles comme la loi l’exige (art. L 133-2 du code de la consommation). Ceci génère une asymétrie informationnelle d’autant plus choquante que la simple poursuite de la navigation vaudrait adhésion instantanée des conditions du service. Or, comme l’a pointé la Commission des clauses abusives :

« La clause qui stipule que la seule navigation emporte l’adhésion du consommateur aux conditions générales d’utilisation à un moment où il n’a pas pu avoir accès à celles-ci est, selon l’article R. 132-1, 1° du code de la consommation, de manière irréfragable présumée abusive. »

(Recommandation n°14-02, Contrats de fourniture de services de réseaux sociaux, II-B-A).

Un clic, et vous avez cédé votre enfant

Europol tira la sonnette d’alarme en 2014 piégeant ainsi des Londoniens souhaitant bénéficier du wifi gratuit… Ils avaient, du même clic, accepté d’offrir leur premier né en contrepartie ! Le « bénéficiaire » a renoncé au jeu de cette clause dite « Hérode », je cite F-Secure :

« Selon les conditions d’utilisation, nous possédons l’enfant de ce couple, mais nous ne le ferons pas parce que nous sommes gentils. »

Cette faille, cette absence de consentement libre et éclairé comme disent les juristes, est bel et bien exploitée par maints rédacteurs de CGU. L’opacité règne notamment sur l’utilisation des data, sur les tierces parties qui y ont accès : ces fameux « partenaires commerciaux » avec qui vos données sont partagées ne sont jamais listés… Mais vous pouvez les identifier vous-même grâce aux spams reçus ! La façon de présenter le recueil des données personnelles trompe aussi l’usager sur les intentions réelles de la société : n’est-il pas trivial d’invoquer l’amélioration du service ?

Tinder, Happn et Runkeeper sont ainsi pointés du doigt parce que leurs CGU accordent aux sociétés un droit mondial à la reproduction, la transformation et la diffusion des contenus publiés via l’application et ce même après la clôture du compte de l’utilisateur. Idem pour le jeu Pokémon Go ! qui ne respecte pas les droits d’auteur.

L’eurodéputé Marc Tarabella a donc déposé une demande d’enquête à la Commission européenne au motif qu’il y aurait violation du droit à la protection des données personnelles et au droit de la consommation. L’UFC Que choisir a aussi alerté le public sur les pratiques de Twitter dont les CGU sont illisibles et renvoient à un document en anglais et fixent une responsabilité « en l’état » de la société tout en imposant une licence mondiale, illimitée et la revente à des tiers des contenus des usagers (idem pour Booking.com).

On reconnaît bien là un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, termes retenus par le Code civil correspondant aux clauses abusives (art. 1171). Les exemples sont pléthoriques : enchaînement de clauses sans ordre logique d’une série d’obligations de nature diverse, attribution impérative de compétence à une loi étrangère (les Pays-Bas pour Uber), droit de rétractation de 5 jours, modification unilatérale des CGU, consentement implicite au traitement des données personnelles par la simple poursuite de la navigation, pré-enregistrement de votre carte bancaire pour tout achat ultérieur (Uber, Amazon)…

Lire la suite de l'article publié sur TheConversation

 


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